jeudi 2 octobre 2025

On part pour Londres à dix heures demain matin. Le temps sera moins tendu que la fois dernière mais auparavant, il s’agit de passer la nuit dans ce non-lieu peuplé d’étrangetés. Même si l’on sait à quoi s’attendre derrière chaque cloison, on ne reconnait pas ce qu’on a déjà vu : Se déplie un dédale de couloirs sans fenêtre dont le blafard des néons révèle la peinture encrassée. On imagine des relents de vestiaires, de champignons, de viandes, de cuisine mal ventilée, avec un souvenir de détergent. Une petite pièce sur la gauche exhibe en surplomb une table d’opération. Y est allongé le tronc d’un homme avec les bras interrompus au-dessus des coudes et les jambes effacées à mi-cuisse. Ses cheveux sont bien mis et sa barbe soigneusement taillée. Le praticien est son sosie debout en blouse blanche. D’un hochement de tête, le docteur entier et son patient moitié s’accordent, ce qui enclenche la mise sous tension. L’homme-tronc devient hurlement. La vision d’un corps sans bras ni jambes se tordant de douleur est l' incarnation d'une violence extrême, comme si la souffrance, n’ayant pas l’espace nécessaire à son déploiement, restait inévitablement concentrée dans ce monolithe de chair ramassé. L’arrêt est aussi brutal que le démarrage et sitôt la décharge éteinte, les deux sosies retrouvent leur connivence emprunte de mutuelle bienveillance. Le praticien plonge alors ses deux mains à l’intérieur du corps-tronc, comme s’il s’agissait de la coque d’un mannequin en plastique, pour en extraire des blocs de pâte rose et jaune dont il remplit un large bocal de verre blanc. Cela ressemble à de la pâte à gâteau pas cuite. Puis on apprend le départ d’une estafette que l’on suit jusqu’à la lisière du bois. Le véhicule est à l’arrêt au milieu d’une petite route noyée de la brume soufflée par les feuilles du ciel d’automne. La carrosserie est aussi beige-usée que les murs du non-lieu. Sous l’auvent ondulé qui ressemble à une planche de carton, un type rougeaud sous une casquette bleu-marine grisonne comme un épicier de campagne. Il vend peut-être quelque chose. De retour au non-lieu, se fait pressante la crainte de ne pas trouver le sommeil dans la froide lumière des néons. Se fait également pressante le besoin d’évacuer l’humidité que le corps a accumulé tout au long de la journée. Les commodités sont des sanitaires collectifs carrelés de jaunâtre jusqu’au plafond. Le côté gauche abrité par la paroi embuée d’un rideau en plastique est occupé. En s’avançant dans l’espace de droite, une pluie se met à tomber du plafond. Cela remplit son office : l’envie d’uriner semble effacée par une douche froide comme s’il redevenait naturel de se laisser aller par le ciel. Le lit est étroit, collé au mur, sans drap ni couverture. Sans la moindre idée de l’heure qu’il est, il est difficile de savoir comment il sera possible de partir pour Londres à dix heures demain matin.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire