dimanche 9 novembre 2025

Ce qui effraie dans le portrait de Dorian Gray en donnant soudainement l’illusion profonde de tout comprendre, ne tient qu’à sa face visible, si repoussante qu’elle dissuade de faire le tour de la question. Le grain de la toile porte intégralement le grain de la peau. Si bien qu’à l’endroit des rougeurs suintantes de la face visible se trouvent des cratères desséchés sur la face cachée qui sont des ilots de vide dans le désert du visage. La conjonction vivante de ces deux réalités apparentes est nichée au cœur de la toile, dans le labyrinthe formé par l’entrelacement des trames horizontales et verticales dont l’esprit directif ne peut trouver l’issue. La connaissance est une rivière qui sort de son lit. Elle franchit les berges pour sonder l’ensemble du paysage à la manière d’une intelligence diffuse qui pousse ses gouttes toujours un peu plus loin alentour. L’intrication des fibres du portrait de Dorian Gray s’étend au-delà du cadre du tableau. Si Jekyll et Hyde n’apparaissent jamais dans le même plan cinématographique c’est parce qu’ils sont les deux incarnations d’une même personne projetées chacune dans leur décor. C’est un coup d’œil furtif, à travers le mur de la physique newtonienne, qui révèle des présences intriquées, dans la même pièce éclairée par la fenêtre exposée au sud, tendant entre elle des rayons de lumière invisibles comme des fils de nylon, la première habillée de noir, l’autre de blanc, si différentes et si semblables, chacune habitant la beauté qui lui est propre.

mercredi 5 novembre 2025

Le choc de l’onde dans l’espace-temps fait mentir la statistique. Ainsi toutes celles qui ne fument pas des cigarettes fument des cigarettes. Au départ, il n’y a que des habituées puis la bonne amie de l’étudiant s’y met puis la bonne mère en landau s’y met puis la fine blonde à chien-chien Cacharel s’y met. La touriste italienne rejoue la scène du taxeur. C’est tout le parvis qui s’embrase de points rouges pour protéger d’un matelas de fumée bleue l’intérieur de la forteresse où des enfants jouent aux cartes à même le carrelage de glace.

dimanche 2 novembre 2025

Dans un long cheveu fin se lit toute la généalogie de la personne. Il y est écrit l’origine du nez bellule aux fines ailes. Il y est raconté que la personne dort comme un gisant de la basilique Saint-Denis de manière à ne pas froncer son nez dans l’oreiller. Contrairement aux Rois de France, elle n’a pas le nez écrasé sous l’impact des coups de gourdin sur l’arrête du heaume. Elle dort naturellement sur le dos sans risquer l’étouffement par ses expectorations nocturnes en raison de sa propension à la lévitation. Elle tient cet avantage de sa localisation à la montagne qui la déleste d’une trop grande force de gravité. Le nez bellule reste préservé des rougeurs de l’hiver par l’usage d’un cache-nez en laine de mohair. Ses fesses fermes et rebondies sous son bassin élargi sont la signature de sa pratique de l’équitation sur le dos d’une vache de salers qui ne donne pas les jambes arquées d’un hue dada sur le dos d’un pur-sang malingre. La vache de salers est l’essence du cheval en raison de ses cornes en guidon de moto. Si les rênes de cuir que l’on attache au mors du cheval sont l’accessoire clef du charme discret de la bourgeoisie, la vache de salers est la Harley-Davidson de la pratique équestre. Pour chevaucher pleinement sa monture, elle enfile des bottes de cuir à larges rabats telles qu’en portait Francis Lalanne dans sa période Fanfan la Tulipe et s’équipe d’un sac matelassé à motifs floraux taillé dans la toile épaisse des rideaux du chalet auvergnat de sa défunte grand-mère. En remontant patiemment le fil capillaire, on se retrouve au Far-West, là où les peuples natifs avaient pour coutume de déposer leurs aiguilles à coudre sur les rails du cheval de fer afin de les aplatir. Il devenait alors possible de glisser dans le chat élargi l’entièreté d’une nape de jute afin de parer les boléros d’un motif géométrique permettant de filtrer l’influence des esprits qui grouillent dans le souterrain de la ville.

 

jeudi 30 octobre 2025

Sous les tilleuls, Philippe est pris de la danse de Saint-Guy. Il court furieusement autour de la Ford Fiesta bleu turquoise en écrasant mon Sais-tu sur le capot. Au coin de la rue se trouve la boutique de Dany-Mode. Des mannequins graciles vêtues de viscose vaporeuse y sont figées dans l’éternité comme des fossiles sous la résine de la vitrine. Celle qui traverse le parking désert sort de chez Dany-Mode comme l’atteste sa mise fière et coquette. Ses yeux ont bu la pluie de l’azur. Ce ne sont plus des billes de bois peintes à la main. Ses hanches ont pris l’assise d’une femme. Ses chaussettes bleu marine sont la signature de son passé derrière la vitrine de chez Dany-Mode. Elles sont surlignées des lanières de salomés vernies assorties au cuivre de sa coupe garçonne. Elle ne reviendra plus chez Dany-Mode dont le sol est jonché des têtes de Jean-Baptiste dévissées pour revêtir les hommes-mannequins de la nouvelle collection des plastrons et chemises à cols boutonnés. L’ex-mannequin devenu femme s’approche de la Ford Fiesta, saisit le Sais-tu et le croque goulûment.

mercredi 22 octobre 2025

L’épeule est une bobine de fil sans noyau si bien que lorsqu’elle se débobine, elle perd son latin et finit par se diluer dans le siècle comme un bras de canal en cul de sac. Cependant, comme les herbes folles qui fleurissent sur les berges fécondes d’un bras mort, les franges de la bobine se retissent dans le paysage et profitent d’interstices entre les pavés du porche ouvert sur la rue. Le pâtre spiritualisé par le jus de vigne maintient ouverts, en toute saison, les larges battants verts écaillés qui montent jusqu’aux fesses des anges. La bergère communiste veille à distance, du fond du jardin, sous la frange cuivrée qui surligne le regard Leica de ses globes oculaires.

mardi 14 octobre 2025

La fille Ingalls est employée à la boulangerie. Elle y occupe la position de semi-patronnesse. C’est elle qui possède la clef du garage. Les jours de liesse, elle lève le large volet métallique et dresse une table sur laquelle elle dispose précieusement, à l’attention des badauds floqués du fanion de la congrégation, des friandises enveloppées de papier cellophane. Une église fut construite non loin, sur le modèle d’un séquoia de Californie, avec une large ouverture en son tronc dans laquelle on pourrait loger un camion.

jeudi 9 octobre 2025

L’attirance est le frôlement d’une aile de mésange sur l’épaule comme pour y balayer un cheveu. Le cheveu est l’hypothèse du doute. La caresse de la mésange est la rémanence d’un autre printemps, ou d’un hiver enfoui plus chaud que ce printemps-ci. Deux jours plus tôt avait vu se reproduire ce geste presque imperceptible et facile à oublier pour qui ne souhaiterait pas s’en souvenir. La mésange charbonnière concentre le bleu piqueté d’étoiles à l’extrémité de ses ailes comme des doigts de femme, aux ongles vernis, qui l’imiteraient dans un théâtre d’ombres. Les âmes errantes sont des êtres de chaleur qui nourrissent novembre de marrons chauds. On peut sentir leur vibrante incandescence sous l’épaisse gabardine de coton. Ce tremblement expiré porte le message millénaire que l’on perçoit en posant la main sur les poteaux de bois qui encerclent la prairie à chardons.